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Conservation : « J’ai grandi à Ebodjé mais je ne connaissais rien des tortues, Tube Awu m’a tout appris » !

« Je suis né et j’ai grandi à Ebodjé, je jouais sur la plage avec les tortues, et respectais leur caractère sacré dans notre tradition, sans vraiment connaitre les différentes espèces ni leur rôle dans la nature. Jusqu’à ce que les études universitaires m’emmènent à l’Université de Dschang, en tant qu’étudiant à l’Ecole des Eaux et Forêts. Mais jusque-là j’ignorais tout des tortues marines, même de l’espèce Luth qui est une divinité dans le clan auquel j’appartiens, j’ai tout appris à Tube Awu »- Yves M. Mondjeli/ Responsable du programme « Tortues marines » à Tube Awu.

C’est le mois de juillet, l’air est un peu chargé, le clapotis des vagues qui s’abattent sur  la partie qui donne accès à la mer domine largement les  habituels cris d’enfants qui jouent dans les cours. Nous sommes à 55 km de Kribi, dans le département de l’Océan, le village Ebodjé est célèbre pour sa capacité à accueillir les tortues marines en migration saisonnière, dont la plus célèbre est la tortue Luth, un reptile géant pouvant peser jusqu’à 1tonne. Conscients de cet avantage, les habitants affichent un large sourire, en s’avançant dans le sol sablonneux,  lorsqu’ils lancent un affectueux « Mbol’an » aux visiteurs que nous sommes. Le cadre est rustique, l’atmosphère prête à la convivialité, les cocotiers font un balai avec l’orientation du vent pour nous mettre dans l’ambiance.

Yves Mondjeli , en pleine patrouille, découvre un nid de tortue marine qui vient de pondre.

Nous avons marqué un arrêt à la chefferie, pour faire la rencontre d’Yves Maxime Mondjeli (voire image de titre), prince de la tribu appartenant au clan « Bokwaba ». L’ingénieur en Eaux et Forêts, diplômé de la FASA (Faculté d’Agronomie et de Sciences Agricoles),nous rappelle qu’il a eu du mal à faire valider son thème de mémoire intitulé « la vie d’une tortue marine ». Ce qui est paradoxal, car l’école est sensée former sur les questions liées à l’eau, mais la majeur partie des recherches se focalisent sur la forêt.

« En forêt, il y’a des points d’eau, mais à Ebodjé, tout tourne autour de l’eau »

Le natif d’Ebodjé a dû parcourir plus de 400 km, pour l’Ouest Cameroun, dans la ville de Dschang, pour suivre une formation en ingénierie, avec à l’idée une spécialisation sur les questions de l’eau. Mais grande fut sa déception de constater que les sciences de l’eau n’y seront enseignées que superficiellement : « en forêt il y’a des points d’eaux, mais à Ebodjé tout tourne autour de l’eau, je n’ai pas trouvé satisfaction à étudier partiellement un sujet que je souhaitais maîtriser, et en faire mon plan de carrière professionnelle, pour venir en aide à la population de mon village ».

C’est lors d’un premier stage académique, effectué à la fin du cycle de Licences, au sein  de l’association Tube Awu, qu’il apprend qu’il existe 7 espèces de tortues marines qui fréquentent les côtes camerounaises. Parmi lesquelles 5 espèces sont régulièrement aperçues sur les plages d’Ebodjé : verte, olivâtre, imbriquée, luth, caouanne. Il a choisi pour thème de mémoire de fin de cycle Master : « la vie d’une tortue marine », en effet la vie d’une tortue marine est une véritable leçon de résilience, de patience et d’harmonie avec la nature. Dès l’éclosion, les bébés tortues doivent traverser la plage pour rejoindre la mer, affrontant prédateurs et dangers. Cela nous rappelle que les débuts peuvent être difficiles, mais la persévérance est essentielle Les femelles adultes reviennent pondre sur la même plage où elles sont nées, parfois après avoir parcouru des milliers de kilomètres. Ce comportement, appelé philopatrie, nous enseigne l’importance de nos racines et de la mémoire collective.

Une fois collectés, les oeufs sont déposés dans cette ecloserie, pour garantir un suivi de leur croissance sans risques de braconnage.

Pour mieux illustrer son propos, Yves Mondjeli nous a fait traverser le village, tout au fond il nous a invité à visiter le musée de la tortue marine, au sein de la « Maison Ndiva », siège de l’association Tube Awu. A travers des illustrations, nous y voyons des fresques, présentant le cycle de vie des tortues marines, qui atteignent leur maturité sexuelle à partir de 25 ans. Cette lente croissance nous invite à respecter le rythme naturel des choses et à valoriser les processus longs mais durables. De plus, chaque espèce joue un rôle crucial : les tortues vertes entretiennent les herbiers marins, les imbriquées préservent les récifs coralliens. Leur présence est indispensable à la santé des océans, ce qui nous rappelle que chaque être vivant a une fonction dans l’écosystème. En somme, les tortues marines traversent les océans, s’adaptent à différents milieux et changent de régime alimentaire au fil de leur vie. Elles nous montrent que l’adaptabilité est une force, surtout dans un monde en constante évolution.

« À  la saison Octobre 2024- Avril 2025 , on  n’a pas aperçu de tortue luth à Ebodjé » !!

A la suite de cette visite guidée, le sourire a laissé la place à la tristesse sur le visage d’Yves Mondjeli : « à  la saison 2024-2025, on  n’a pas aperçu de tortue luth à Ebodjé, avec pour conséquence la prolifération des méduses sur nos plages, et des piqûres ont été enregistrées ». C’est un véritable drame écologique, quand on sait que la principale alimentation des tortues luth ce sont les bancs de méduses, leur caractère vénéneux n’est d’aucun effet sur ces tortues qui en sont immunisées du poison. Il est important  de préciser que la tortue luth est le plus extraordinaire des reptiles de par sa taille ; à maturité elle atteint 2m de long et pèse 1tonne.

 

Au bout de 60 jours en moyenne, les tortillons rejoignent la Mer.

L’on ne saurait cantonner les activités de Tube Awu aux tortues marines, car l’association travaille à la conservation en vue de la valorisation de toutes les espèces qui peuplent le Parc Marin Manyangue Na Elombo-Campo. Yves Monjeli a été bercé par les balades sur les dunes de sable depuis son enfance, mais grâce à l’association Tube Awu, il a suivi une formation en plongée sous-marine, qui lui a permis de découvrir plusieurs autres invertébrés que l’on n’aperçoit pas dans les filets de pêche, ainsi qu’une flore riche dans les bas-fonds de l’océan Atlantique, aux larges de la côte camerounaise. Il nous a dit : « découvrir les récifs coralliens, et herbiers marins, principaux sites d’alimentation des tortues, mais aussi percevoir à la surface, lors des excursions en bateaux, des baleines et des dauphins, furent des expériences extraordinaires ! ».

Le plaidoyer est clair, le Parc existe depuis quelques années déjà, mais le plan d’aménagement tarde à être effectif, il devient impératif que des inventaires ichtyologiques soient effectués. L’absence de la tortue luth doit interpeller les décideurs, sur le revers écologiques de ce phénomène, et la mise à risque de la santé des populations, ainsi que des touristes qui longent les plages, sans savoir que le danger guette. Car en effet, l’absence des tortues entraîne le manque de poissons qui généralement suivent leurs traces, et se nourrissent des débris sur leur passage, situation propice à créer une pénurie alimentaire dans le village Ebodjé dont l’activité principale c’est la pêche artisanale, et surtout la commercialisation du poisson, tant frais que fûmés.

 

Ange ATALA

 

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